L’utilisation des réseaux sociaux par les migrants népalais durant la pandémie
Upasana Khadka
Photographie : Des Népalais bloqués aux Émirats arabes unis racontent leur histoire en direct sur Facebook après un manque de soutien de la part des autorités. Source : Kalim Miya.
Avec un ratio envois de fonds/PIB de plus de 25 %, la migration internationale est essentielle pour l'économie du Népal. Chaque année, des centaines de milliers de Népalais s'expatrient, notamment au Moyen-Orient et en Malaisie, pour des emplois temporaires et contractuels. Du fait des différences dans l'évolution de la pandémie entre le Népal et les pays de destination, l'utilisation des réseaux sociaux par les migrants népalais peut être appréhendée sous deux angles différents. Tout d'abord, lorsque la COVID-19 a touché simultanément les pays de destination et le Népal en 2020, les réseaux sociaux ont offert aux migrants bloqués à l’étranger un moyen de rechercher des informations et une aide matérielle auprès de sources formelles et informelles. Ensuite, en 2021, alors que le Népal a connu une deuxième vague dévastatrice, la situation était relativement meilleure dans de nombreux pays de destination. Les réseaux sociaux ont alors permis aux migrants d'apporter une aide indispensable et vitale au Népal.
Première vague : les pays de destination et le Népal sont simultanément touchés
Des milliers de Népalais se sont retrouvés bloqués à l’étranger du fait des restrictions de voyage et des confinements liés à la COVID-19. En raison des interdictions soudaines de voyager, nombre d'entre eux ont été laissés dans l'incertitude suite à la perte de leur emploi, à l'expiration de leur contrat et à l'annulation de leur vol. La distanciation sociale s’est avérée difficile dans leurs chambres exiguës disposant de toilettes communes ne répondant pas aux normes et dans les cantines bondées. Ajouté à cela des taux d'infection plus faibles au cours des premiers mois, le Népal était considéré comme relativement plus sûr, ce qui a amplifié l'empressement à rentrer chez soi.
Dans ce contexte chaotique, les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel pour permettre aux migrants de communiquer non seulement avec leur famille au Népal, mais aussi avec des réseaux formels et informels à l'étranger. Ils ont constitué une plateforme permettant aux migrants d'exprimer leurs préoccupations et d'accéder à des informations actualisées, en népalais, sur le protocole sanitaire relatif au voyage, à la quarantaine et à la distanciation sociale, ainsi que de rechercher un soutien alimentaire et matériel auprès de réseaux formels et informels. Les pages Facebook des ambassades ainsi que celles gérées par des groupes de migrants népalais et les dirigeants communautaires, sont devenues des ressources indispensables. Les pages Facebook et les groupes sur les réseaux sociaux (IMO, WhatsApp, Viber) ont amplifié les appels à l'aide et répondu aux questions. Les ambassades implantées dans les capitales ont coordonné leurs actions par le biais des réseaux sociaux afin de rassembler les groupes de migrants et les dirigeants communautaires dispersés dans tout le pays pour leur fournir de la nourriture et d'autres aides matérielles. Avec l'aide des dirigeants de la communauté népalaise, les gouvernements des pays de destination, comme le Qatar et la Corée du Sud, ont également déployé des efforts concertés pour diffuser des messages d'intérêt public en népalais via les réseaux sociaux et la radio.
Le programme d'information hebdomadaire en direct sur Facebook, organisé par l'ambassade du Népal en Malaisie, en est un exemple notoire. Durant ce programme, les fonctionnaires de l'ambassade transmettent les informations importantes aux Népalais, tout en répondant à leurs questions. En facilitant la communication bilatérale avec un grand nombre de migrants, ce programme a permis de pallier le manque de personnel dans les ambassades, qui n'étaient pas en mesure de répondre à l'afflux d'appels reçus. Les réseaux sociaux ont également permis aux professionnels de santé népalais présents dans les pays de destination d'assurer des consultations de « télémédecine » dans la langue locale, même en l'absence de structures officielles de consultation à distance.
Ces conditions n'ont toutefois pas permis d'apporter un soutien suffisant aux migrants face au nombre insurmontable de problèmes à résoudre. Chose intéressante, les migrants bloqués à l'étranger ont eu recours aux réseaux sociaux pour demander des comptes aux autorités. En partageant leurs expériences par le biais de vidéos en direct sur Facebook, en réaction à la passivité des ambassades, ils sont parvenus à dénoncer les réalités sur place et l'insuffisance du système de soutien, incitant ainsi l'opinion publique et les médias népalais à réclamer leur protection et leur rapatriement.
Les images qui ont fait surface sur les réseaux sociaux se sont répandues comme une traînée de poudre et sont devenues des marqueurs importants de la pandémie. Au Koweït, les vols de rapatriement de travailleurs sans papiers sponsorisés par le gouvernement koweïtien ont été retardés en raison des règles variables du gouvernement népalais concernant les vols entrants. Aux Émirats arabes unis, un groupe de travailleurs sans papiers lâchés par leur employeur n'a reçu aucune assistance de la part de l'ambassade du Népal. Dans les deux cas, ces tentatives de dernier recours sur Facebook live et la pression de l'opinion publique qui s'en est suivie ont poussé les autorités à réagir.
D'autres migrants ont été plus discrets dans leur partage d'informations par crainte de représailles. Sous couvert d'anonymat, des migrants ont partagé des photos de leurs conditions de vie et de travail avec des militants et des médias. Parmi eux, Yubaraj Khadka, de Top Glove en Malaisie, a été licencié après avoir été identifié comme le dénonciateur ayant diffusé des photos mettant en évidence l'absence de distanciation sociale sur le lieu de travail.
Deuxième vague : le Népal est une zone à risque, tandis que plusieurs pays de destination clés, hormis l'Inde, affichent de bons résultats
Le Népal a été touché par une deuxième vague de COVID-19 qui a submergé l'infrastructure sanitaire. Les migrants dans les pays de destination qui ont repris leur travail ont à nouveau eu recours aux réseaux sociaux pour étendre leur aide au pays. Dans le cadre d'une campagne intitulée « Let us send oxygen to Nepal and save lives » (« Envoyons de l'oxygène au Népal et sauvons des vies »), des migrants au Moyen-Orient ont réussi à collecter des dons auprès de centaines de migrants de toute la région pour envoyer 560 bouteilles d'oxygène, le Népal étant en pénurie. D'après les coordinateurs de la campagne, les réseaux sociaux ont permis la planification et l'exécution de cette initiative.
Beaucoup de chemin reste à parcourir
Malgré le rôle catalyseur des plateformes de réseaux sociaux, des disparités subsistent.
L'interdiction des plateformes de voix sur IP telles que Facetime et Whatsapp dans plusieurs pays du Golfe constitue un obstacle. Bien souvent, et notamment dans le cas des travailleurs domestiques, l'utilisation du téléphone est limitée par des employeurs méfiants et soucieux du respect de leur vie privée ou de la productivité du personnel. En outre, l'accès aux smartphones et à Internet peut se révéler difficile. L'alphabétisation fonctionnelle constitue également un véritable défi. Des solutions existent pour contourner ces difficultés : quelques applications de réseaux sociaux proposent des options d'enregistrement audio pour ceux qui ne savent pas lire, et la plupart des migrants partagent un même lieu de vie. Concernant les secteurs isolés comme le travail domestique, le bouche-à-oreille par le biais des réseaux personnels ou des migrants du quartier, dans les commerces qu'ils fréquentent par exemple, peut être une ressource précieuse pour entrer en contact avec des référents ou des autorités compétentes. Toutefois, de nombreux migrants continuent de passer entre les mailles du filet.
La diffusion de fausses informations, y compris les fake news alarmistes, peut être particulièrement préjudiciable en situation de crise. Par ailleurs, les autorités telles que les ambassades ne semblent pas encore avoir pris conscience de tout le potentiel des réseaux sociaux pour susciter l’engagement des migrants, notamment par le biais d'initiatives concrètes de sensibilisation ou de programmes de télémédecine. Enfin, si les réseaux sociaux permettent aux migrants de partager leur situation, la crainte de représailles dans un contexte de surveillance accrue et de protection de la vie privée les empêche souvent de s'exprimer.
Malgré ces lacunes des réseaux sociaux en matière d'inclusion et d'accessibilité, la pandémie a mis en lumière leur capacité à transformer les méthodes de communication des migrants avec leurs familles dans leur pays d'origine et avec les communautés de migrants dans leur pays de destination.
Upasana Khadka est consultante sur les questions de mobilité des travailleurs en Asie pour la Banque mondiale. Elle était auparavant conseillère politique et experte en migration au ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale (MOLESS), au Népal. En tant que chroniqueuse pour le Nepali Times (« Mobilité des travailleurs »), elle analyse les tendances qui affectent les travailleurs népalais à l'étranger et a effectué des reportages au Népal, au Liban et en Malaisie. Elle est titulaire d'un master d'administration publique en développement international de la Kennedy School of Government de l'université de Harvard et d'un diplôme interdisciplinaire en économie et en mathématiques du Reed College.
Cet article fait partie du numéro "Renforcer les Capacités des Diasporas Mondiales dans l'Ère Numérique", une collaboration entre Routed Magazine et iDiaspora. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de Routed Magazine.
Nous reconnaissons également l'importante contributions importantes de l'équipe de promotion et de communication : Achille Versaevel, Fiona Buchanan, Lena Hartz, Malin Evertsz Mendez, Margaret Koudelkova et Shaddin Almasri. Enfin, nous tenons à remercier le travail de traduction en français réalisé par Catherine Meunier, Elisabeth Loua, François Lesegretain, Anaïs Fournier, Aurianne Ortais et Chloé Bianéis.