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La réduction des inégalités numériques pour les demandeurs d'asile au Mexique

Larisa LARA-GUERRERO
12 juillet 2021

La réduction des inégalités numériques pour les demandeurs d'asile au Mexique

Melanie Stanek

Photo: One Digital World Lab à Tijuana. Avec autorisation de l'auteur.

Bien avant que la COVID-19 ne transforme le monde en monde virtuel, il existait une fracture numérique en matière d'éducation, notamment dans les situations non conventionnelles et de crise. Mon amie et collègue Casey Myers avait compris cela. En 2017, Casey a passé un an à travailler bénévolement avec Movement on the Ground, une ONG néerlandaise qui fournit des services éducatifs et sociaux à une partie des milliers de réfugiés résidant dans les camps de réfugiés de Kara Tepe et Moria en Grèce, en plein cœur de la crise européenne des réfugiés. Des réfugiés originaires d'Afghanistan, de Syrie, d'Irak, du Cameroun et d'autres pays avaient été contraints de quitter leur vie. Une simple enquête a révélé un point commun : toutes les personnes que Casey a rencontrées dans les camps voulaient apprendre l'anglais pour pouvoir trouver un emploi. Mais la plupart d'entre elles n'avaient jamais allumé d'ordinateur, encore moins appris à taper sur un clavier, à faire des recherches sur Internet ou à utiliser des plateformes numériques d'apprentissage des langues. Pourtant, on attendait d'eux qu'ils remplissent des documents essentiels, qu'ils cherchent un emploi et qu'ils s'intègrent dans une société numérique, sans qu’on ne leur ait jamais appris à le faire.

Parfois, les meilleures solutions sont les plus simples. En Grèce, la solution de Casey a été de construire un laboratoire informatique à l'intérieur du camp puis de former les participants sur divers sujets, de la construction d'ordinateurs à la dactylographie, en passant par l'utilisation d'Internet, la création de CV, de comptes de messagerie et enfin à se connecter sur Zoom. En 2019, Casey est retournée en Grèce pour lancer un cours pilote d'alphabétisation numérique à Samos. Plus de 400 femmes ont été diplômées de ce cours et ont acquis les compétences nécessaires pour pouvoir se connecter au monde numérique. Si certaines sont toujours en Grèce, en attente de relocalisation, elles peuvent utiliser une partie de leur temps pour continuer à suivre des cours en ligne et communiquer avec leurs amis et leur famille dans le monde entier. 

En moyenne, il faut sept ans à un réfugié ou à un asilé pour s'intégrer dans son nouvel environnement après sa réinsertion. Mais cette statistique ne tient pas compte du temps et des efforts nécessaires pour qu'un demandeur d'asile devienne un réfugié ou un asilé, un statut légal accordé par le HCR ou par des agences gouvernementales. Aux États-Unis et au Mexique, des milliers de demandeurs d'asile fuient actuellement la situation économique et politique qui se dégrade en Amérique centrale et du Sud - notamment au Salvador, Honduras, Guatemala et Venezuela. La plupart d'entre eux partent au pied levé, après avoir été menacés ou après avoir subi d'horribles violences. Ils se rendent à pied ou en bus à la frontière entre les États-Unis et le Mexique où ils ont l'intention de demander l'asile et d'être accueillis aux États-Unis. Beaucoup ont déjà de la famille ou des amis proches qui vivent là-bas.

Malheureusement, la réalité s'avère tout autre. L'année dernière, les États-Unis ont invoqué une mesure de santé publique vieille de plusieurs décennies, connue sous le nom de Titre 42, qui a donné au gouvernement le pouvoir d'expulser d'urgence tous les nouveaux demandeurs d'asile, malgré la désapprobation des responsables de la santé publique. Après avoir passé des semaines, voire des mois, à risquer l'enlèvement, la déshydratation et d'autres dangers sur le chemin de la frontière, les demandeurs d'asile se voient demander de "partir". En réponse, des milliers d'entre eux ont érigé des camps de tentes de fortune dans des endroits allant de simples parkings à des parcs le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, déterminés à passer la frontière étasunienne dès que la situation s’y prêterait davantage Mais la désinformation, l'exposition aux intempéries, les extorsions ou les enlèvements par des gangs locaux rendent cette situation très difficile et dangereuse.

Les communautés locales construisent des abris pour héberger temporairement les migrants mais ces abris ont rapidement atteint leur capacité maximale. De nombreuses personnes attendent au Mexique depuis plus de six mois, certaines depuis un an et demi. Pendant qu'ils attendent l'ouverture de la frontière, ils ne peuvent ni travailler légalement, ni subvenir aux besoins de leur famille. Les options sont limitées.

Casey a fondé One Digital World en réponse à cette crise qui se déroule sous nos yeux. Nous sommes un groupe d'éducateurs et de défenseurs passionnés par les droits des réfugiés et le seul organisme transfrontalier à but non lucratif travaillant à la fois en Californie et au Mexique pour fournir une éducation numérique aux demandeurs d'asile. Jusqu'à présent, nous avons construit trois laboratoires informatiques dans des abris communautaires du nord du Mexique et nous venons d'achever notre premier cours de formation au numérique de cinq semaines avec les réfugiés. Avec un accès à un ordinateur et à Internet, les demandeurs d'asile peuvent non seulement acquérir des compétences numériques et apprendre l'anglais, mais aussi avoir accès à des services essentiels tels que la santé publique, le logement et des conseils juridiques gratuits. Notre position sur le terrain nous a permis de mettre en relation les demandeurs d'asile avec des prestataires de services aux États-Unis dans le but de réduire le temps nécessaire à leur intégration une fois qu'un demandeur d'asile est devenu un "asilé" (statut similaire à celui d'un "réfugié").  

Nous imaginons un monde où les demandeurs d'asile disposent de toutes les informations et compétences nécessaires pour obtenir gain de cause et s'intégrer avec succès dans un nouveau pays. L'accès au numérique est un élément essentiel à leur intégration qui est trop souvent négligé. En fournissant des ordinateurs et l'internet aux demandeurs d'asile, nous ne facilitons pas seulement leur intégration future, nous leur donnons accès à un réseau de soutien plus large composé d'asilés et de membres de la communauté, ce qui peut changer le cours de leur vie.

Melanie Stanek est une étudiante diplômée de la Kroc School of Peace Studies à San Diego en Californie, et contribue à One Digital World. Elle pense que l'accès à une éducation de qualité est un droit de l'homme et qu'aucun être humain n'est clandestin. Vous pouvez la suivre sur Twitter à @mellymary et en savoir plus sur One Digital World à onedigitalworld.net.

Cet article fait partie du numéro "Renforcer les Capacités des Diasporas Mondiales dans l'Ère Numérique", une collaboration entre Routed Magazine et iDiaspora. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de Routed Magazine.

Nous reconnaissons également l'importante contributions importantes de l'équipe de promotion et de communication : Achille Versaevel, Fiona Buchanan, Lena Hartz, Malin Evertsz Mendez, Margaret Koudelkova et Shaddin Almasri. Enfin, nous tenons à remercier le travail de traduction en français réalisé par Catherine Meunier, Elisabeth Loua, François Lesegretain, Anaïs Fournier, Aurianne Ortais et Chloé Bianéis.