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INTIMAL : Une écoute relationnelle qui nous a étonnamment permis de mieux se préparer face à la pandémie de la COVID-19

Larisa LARA-GUERRERO
12 juillet 2021

INTIMAL : Une écoute relationnelle qui nous a étonnamment permis de mieux se préparer face à la pandémie de la COVID-19


*Cet article a été rédigé par Dr Ximena Alarcón-Díaz, Dr Ana-María Alarcón-Jiménez et Dr Liliana Rodriguez, du collectif INTIMAL. L'article inclut aussi la contribution de tous les membres du collectif INTIMAL.


Collectif INTIMAL à Grån, Norvège. Deep Listening® Intensive. Photo par Sharon Stewart.

Aperçu

INTIMAL est un projet de recherche en art sonore développé par Ximena Alarcón pour faire écouter nos parcours migratoires. Il utilise le système de Deep Listening® et la performance télématique comme pratiques créatives principales pour élargir notre sensation du lieu et de la présence, tout en rassemblant des fragments de notre expérience migratoire pour être perçus et modelés, afin d’en faire quelque chose d’entier. Neuf femmes colombiennes issues de la migration et vivant à Oslo, Barcelone et Londres ont été invitées à écouter non seulement leurs expériences de migration vers l'Europe mais aussi des archives orales de témoignages d'autres femmes colombiennes de la diaspora afin d'ouvrir des voies créatives menant à des expériences de guérison des sentiments de nostalgie et de perte. Le projet a été financé par la bourse Marie Skłodowska Curie Individual Fellowship (2017-2019) et s’est tenu à l'Université d'Oslo.

Le projet INTIMAL (Interfaces for Relational Listening: Body, Memory, Migration, Telematics) a exploré comment le corps devient une interface qui garde les souvenirs d’un lieu. Il a également fait du système INTIMAL, un prototype ayant pour but d’improviser et de transmettre l'expérience d'écoute relationnelle de nos migrations à l'aide d’interfaces qui ne sont pas basées sur un écran. À l'aide de deux mouvements principaux tels que la marche, la respiration, et les archives orales, nous avons testé le système lors d'une Performance Sonore Télématique finale entre les trois villes.

Dans cet article, nous expliquerons comment ce projet a donné naissance au collectif INTIMAL et comment nous pensons que ce processus nous a préparé à mieux affronter la pandémie de la COVID-19. Nous allons commencer en expliquant comment l'espace du collectif a été produit et construit à travers des pratiques d'écoute et des technologies de réseaux informatiques. Ensuite, nous explorerons les dessins et les recettes médicinales qui sont perçues comme étant des moments clés de concrétisations, et enfin nous allons montrer comment ces moments nous ont été indispensables pour forger un nouveau territoire virtuel qui soutient et recrée des mémoires collectives.

La production sociale et la construction de l'espace

Selon l'anthropologue Setha Low, la production sociale d’un espace fait référence aux processus historiques, politiques et économiques par lesquels un espace ou un lieu prend vie. La construction sociale de l'espace est quant à elle composée de changements et de ce que l’on appelle resistencias. Ceux-ci se produisent lorsque les gens marchent, jouent, travaillent ou habitent des espaces sociaux qui sont « transformés en lieux, scènes et en actions qui véhiculent des significations particulières ».

Suivant cette logique, la production sociale de l'espace collectif INTIMAL a émergé du projet INTIMAL de Ximena Alarcón. Étant elle-même une colombienne issue de l’immigration, Ximena a choisi de faire son étude de cas sur l'expérience des femmes colombiennes issues de l’immigration, vivant en Europe. Ceci comprenait des archives orales sur des femmes colombiennes en exil, et ces archives orales ont été recueillies par l'organisation Diaspora Women à Londres et à Barcelone. Ainsi, les femmes de ces villes, ainsi que d’autres vivant à Oslo, ont été invitées à prendre part à cette recherche. Pour la sélection de neuf participantes, le projet a mis un accent particulier sur l’intérêt porté sur l'écoute de nos migrations et de l'archive orale. La plateforme de réseautage Google Hangouts ainsi qu'un groupe WhatsApp ont été utilisés en tant que structure interne de communication de notre collectif.

L'ensemble des pratiques de Deep Listening® y compris les méditations sonores, l'improvisation, les rêves et la conscience corporelle nous invitent à nous écouter et à écouter les autres sans aucun jugement. Il est devenu notre point principal d'interaction sociale. Ceci a été fondamental pour 1) construire notre espace social, 2) communiquer le sens de la collectivité et de l’individualisme, et 3) mettre en œuvre un mode de gouvernance plurielle et horizontale. De notre point de vue, cette construction sociale de l'espace a ouvert une possibilité surprenante conduisant ainsi à la bifurcation du projet original INTIMAL qui est devenu le collectif INTIMAL. Au cœur du développement de ce collectif se trouvaient des questions telles que notre désir commun de voir une Colombie sans guerre, notre intérêt commun pour les arts et notre polyglottisme. 

Notre pratique de Deep Listening qui se tient une semaine sur deux, en ligne et en personne (une fois en Norvège) a donné lieu à : des improvisations collectives de sons et de mouvements corporels ; une pierre qui a été télétransportée de main en main, retenant des émotions et donnant de l'espace pour se faire entendre ; la création de dessins que nous avons utilisés et décris comme étant des symboles significatifs. En fait, loin d'utiliser les drapeaux des pays ou des hymnes nationaux, notre imagerie consiste à avoir des rêves partagés racontés par un membre du collectif et dessinés par un autre. 

Nous avons qualifié ceux-ci de « moments clés de concrétisation » et, comme nous l'expliquons dans la section suivante, nous mettrons en lumière les dessins, en tant que pratique spéciale qui a commencé bien avant la pandémie, et les médicaments qui ont été fabriqués pour faire face à cette pandémie.

Moments clés de concrétisation

Figure 1. Drawing by Silvia Esperanza Villalba Martínez.

Illustration par Silvia Esperanza Villalba Martínez.

Dessins

Pendant nos séances, certains d'entre nous ont fait des dessins en écoutant les histoires et les rêves des uns et des autres dans le but de les enregistrer (tableau 1). Ces dessins étaient des actions d'enregistrement graphique, qui nous ont aidés à apprendre les uns des autres, à réfléchir et à donner un sens à nos histoires et à leurs significations. À la suite de ces actions, des connaissances communes ont émergé, matérialisant ainsi des rêves et des histoires.

Table1


Tableau 1. Auto-théorisations du processus collectif INTIMAL de dessin.

Comme les dessins ont été réalisés de manière instantanée par des participants vivant dans différents endroits du monde, plusieurs versions du même rêve ont été créées. Ces dessins ont été produits en laboratoire, et certains d'entre eux ont été publiés dans la première édition de notre Fanzine collectivement créé.

À l’exemple de l’autonomie des tentacules des pieuvres, nous avons créé des images des uns des autres et ces dessins agissaient comme des hologrammes faits de fragments de rêves. Nous avons défini ces espaces et ces actions avec nos dessins de manière très claire, et il n'y avait plus d'ombres.

Drawing by Liliana Rodríguez. Included in INTIMAL Fanzine

Illustration par Liliana Rodríguez. Incluse dans INTIMAL Fanzine.

Draw

Illustration par Calu.

Draw

Illustration par Anita Ramírez

3.2 Recettes médicinales

Table 2. COVID-19 recipes

Tableau 2. Recettes COVID-19.


Depuis septembre 2019, nos rencontres en ligne se poursuivent sous le nom de « INTIMAL Veines et Artères » et incluent le collectif INTIMAL tout en invitant davantage de femmes originaires de l’Américaine Latine et issues de l’immigration à participer à notre dynamique d'écoute migratoire. Intuitivement, nous savions que notre riche production sur le son, le mouvement et le visuel nous préparait à quelque chose de spéciale. En effet, en mars 2020 lorsque la pandémie de la COVID-19 a imposé la distanciation sociale et les rencontres en ligne, le système INTIMAL s'est démarqué avec nous, en nous et pour nous. Compte tenu de nos années d'expérience à la fois dans la rencontre télématique ainsi que dans la production/construction de notre propre espace virtuel plein de sens, notre collectif s'est senti soudé et doté de force particulière. Ainsi, en réfléchissant aux concrétisations déjà expérimentées et à leurs propriétés de guérison vibratoire, nous avons organisé une session au cours de laquelle nous avions préparé nos propres recettes médicinales pour nous guérir, nous protéger et nous soutenir : Meditalín, Ajixsh et Amansa Corona. Ces trois recettes sont constituées de mélanges de fragments de rêve, de conscience corporelle, de textures, de composants à base de plantes, de paysages et d’un sens d'humour qui représentent des souvenirs de la curanderia traditionnelle latino-américaine (Tableau 2).

Intal

Illustration par Violeta Ospina

Un nouveau territoire virtuel

En plein confinement, Ximena a offert un labo INTIMAL avec un agenda, qui a s’est étalé sur sept semaines consécutives. Cet espace d'improvisation a servi à questionner, écouter, réfléchir et créer des actions pour soutenir et exprimer les émotions apportées par les nouvelles expériences dans le collectif et l'incertitude causée par la pandémie. Dans une reconfiguration de l'espace collectif à partir de notre perspective migratoire, nous réfléchissons actuellement sur le but d'un collectif INTIMAL établi par les femmes issues de l’immigration, originaires de l’Amérique Latine et vivant en Europe.

Alors que le projet original de Ximena continue de faire évoluer le système INTIMAL sous la forme d'une application appelée INTIMAL App© pour écouter les parcours migratoires, l'espace social du collectif INTIMAL se consolide en tant qu’un réseau voyant la Colombie comme une hétérotopie: un territoire virtuel sans frontières qui fait écouter et résonner les rythmes de vie et les sons de nos migrations, avec des technologies qui entourent le corps telle une interface sensible pour équilibrer la mémoire des lieux d'origine et le lieu présent qui reçoit ; d'une multiplicité de corporéités, d'identités transatlantiques et féminines.

Dr Ximena Alarcón-Díaz est une artiste en art sonore et une tutrice certifiée dans le Deep Listening®, qui a un doctorat en Technologie et Innovation Musicale, et 13 ans d'expérience postdoctorale en recherche créative à l'écoute de ses propres migrations et celles des autres : à travers la voix, le langage, le mouvement corporel, les systèmes de transport souterrains, les rêves et technologies de l’informatique. Elle crée des improvisations télématiques en Deep Listening, et des interfaces d'écoute relationnelle. Elle a reçu des prix de recherche prestigieux tels que le Leverhulme Trust Early Career Fellowship (2007-2009) et la bourse Marie Skłodowska Curie Individual Fellowship (2017-2019), et des mentions artistiques honorifiques telles que IAWM New Genre Prize for 'Sounding Underground', et prix ​​d'innovation Pamela Z à la NIME Conférence de 2019, pour 'INTIMAL'. Elle fait confiance à la guérison que l'improvisation et le son avec les autres dans des lieux éloignés peuvent apporter aux sentiments de perte géographique et culturelle, alors que nous interconnections le sentiment du lieu et celui de la présence.

info@ximenaalarcon.net 

Dr Ana-María Alarcón-Jiménez a obtenu un doctorat en ethnomusicologie à l'Université Nova de Lisbonne. Sa thèse portait sur la construction sociale et la production sociale du Festival International du Monde Celtique d'Ortigueira. Elle a cofondé le Groupe d'Ethnomusicologie à l'Institut Catalan d'Anthropologie (ICA), et est trésorière et webmaster pour la Section de la Société d'Ethnomusicologie sur le Statut de la Femme. Côté création, elle s'intéresse à l'art sonore, à la musique électroacoustique, et à la musique nouvelle et expérimentale. Elle joue du basson et aime trouver de nouvelles techniques pour en jouer et diversifier sa palette sonore.

anamaria.aj@protonmail.com 

Dr Liliana Rodriguez est lauréate du prix de l'innovation du BMJ (British Medical Journal) en conception de service avec un Bachelor en Design de Produits, un Master en Interaction Design et un Doctorat en conception de services digitaux. Elle travaille actuellement comme contractuelle pour le Test & Trace services du DHSC (Department of Health and Social Care) pour l'équité et l'inclusion. Liliana a travaillé dans des environnements commerciaux, pour des organisations à but non lucratif, des établissements d'enseignement supérieurs, et sur des projets de conception dans le domaine de la santé ; projets financés par le Ministère de la Santé Publique d’Angleterre (PHE), le GOV.UK Digital Services (GDS) et l’entité qui s’occupe de l'innovation pour les PME. Elle donne également cours à l'Open University pour les modules UX & Interaction Design et le Design Thinking.

lulugaia@gmail.com 

Collectif  INTIMAL 

Nous sommes un collectif de création collaborative composée de femmes originaires d’Amérique Latine et ayant migré vers l’Europe, à l'écoute de nos migrations issues du projet de recherche artistique INTIMAL : Interfaces for Relational Listening : Body, Memory, Migration, Telematics. Nous développons des actions créatives pour l'agencement individuel et la transformation collective dans nos terres d'accueil et nos pays d'origine. Nous nous rencontrons régulièrement en ligne pour écouter et réaliser des rêves et des voyages migratoires, élargissant ainsi des notions de féminité, de territoire et de soin.

intimalcommunity@gmail.com 

Cet article fait partie du numéro "Renforcer les Capacités des Diasporas Mondiales dans l'Ère Numérique", une collaboration entre Routed Magazine et iDiaspora. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de Routed Magazine.

Nous reconnaissons également l'importante contributions importantes de l'équipe de promotion et de communication : Achille Versaevel, Fiona Buchanan, Lena Hartz, Malin Evertsz Mendez, Margaret Koudelkova et Shaddin Almasri. Enfin, nous tenons à remercier le travail de traduction en français réalisé par Catherine Meunier, Elisabeth Loua, François Lesegretain, Anaïs Fournier, Aurianne Ortais et Chloé Bianéis.