Central American News : Le média diasporique reliant l’Amérique centrale au reste du monde
Melissa Vida et Bree’ya Brown
Image : Œuvre de Xiomara Garay sur Instagram. Avec la permission de l’artiste.
Fin décembre 2020, alors qu’elle scrollait sur Instagram, Bree’ya Brown a découvert le compte de Central American News. Même en grandissant dans un foyer panaméen, il était toujours rare d'obtenir des informations sur l'Amérique centrale, surtout dans les grands médias américains. Grâce à Central American News, Bree’ya peut désormais suivre l’actualité de la région et discuter de l'Amérique centrale avec sa grand-mère, renforçant ainsi leur lien intergénérationnel. Elle a donc pu se rendre compte de l’intérêt que présente ce canal d’information, créé par des membres de la diaspora en vue d’établir une connexion entre leurs pays d’origine et les pays étrangers.
Bien souvent, les médias américains se contentent de relayer des informations sensationnelles sur les « caravanes de migrants », les « vagues » migratoires et les gangs meurtriers. Cette approche témoigne d'un manque d'intérêt véritable à l'égard des communautés d'Amérique centrale et d'un mépris des cultures, révèle l'existence de préjugés et donne une vision simpliste des phénomènes. Parallèlement, les médias grand public passent sous silence l'intervention des États-Unis en Amérique centrale au cours du XXe siècle et leur participation aux bains de sang pendant la guerre froide, ce qui contribue à fragiliser le tissu social pour les générations futures. Les échos de l'histoire continuent d’affecter nos familles.
Plus de 3,5 millions de Centraméricains vivent aux Etats-Unis et des milliers d’autres sont demandeurs d’asile au Royaume-Uni et en Espagne. Des décennies de guerres civiles, d'interventions étrangères, de fragilité économique et de catastrophes climatiques ont obligé nos parents, et obligent aujourd'hui les jeunes, à quitter leur pays. A titre d’illustration, un quart des ressortissants salvadoriens vivent à l’étranger. La grande diaspora centraméricaine, qui ne cesse de croître, souhaite avoir accès à des informations régulières et variées sur ses terres d'origine, mais ne sait pas où chercher ou ne parle pas espagnol.
Lorsque Bree’ya lit la newsletter de Central American News devant sa famille, elle porte une attention toute particulière à la rubrique Panama. Cela lui a permis de se forger sa propre opinion sur la culture, la société, l’économie et la politique centraméricaine, sans avoir à dépendre des grands médias américains.
Grâce aux reportages réalisés par les Centraméricains eux-mêmes, présents sur place ou à l'étranger, Central American News offre une perspective nouvelle sur la région. Le fait de pouvoir décider du contenu à mettre en avant, de construire des récits d'actualité et de porter attention au choix de nos mots constitue une véritable libération. Nous n’aurions par exemple jamais parlé de « vague » pour qualifier les mouvements migratoires récents, car ce terme suscite la crainte envers nos populations.
Chaque semaine, une équipe de 14 volontaires consacre quelques heures à Central American News. Nous présentons un résumé de l'actualité de la semaine relative au Guatemala, au Belize, au Honduras, au Salvador, au Nicaragua, au Costa Rica et au Panama, ainsi qu'aux migrations. Diverses sources d'information concernant chaque pays de la région sont référencées, permettant ainsi aux lecteurs de consulter les médias locaux pour plus de détails. L’actualité artistique et culturelle offre souvent un beau contraste face aux récits de catastrophes naturelles ou de corruption. Nous estimons qu'il est essentiel de présenter l'Amérique centrale de façon plus complète.
Central American News a vu le jour à l'été 2018 dans un contexte de « caravanes de migrants », de répression violente de l'État à l'encontre de manifestants au Nicaragua, et de l'apparition d'une communauté numérique de Centraméricains au sein de la diaspora, « #CentralAmericanTwitter ». Les Centraméricains à l'étranger se sentaient souvent isolés des autres. Les plateformes numériques ont donc joué un rôle important dans la création d'une communauté.
La journaliste salvadorienne et belge Melissa Vida, fondatrice et désormais rédactrice en chef de la newsletter, a constaté la nécessité de fournir des informations régulières sur la région. Ainsi, elle a opté pour le format de la newsletter, afin de contrebalancer de façon concise les préjugés de la presse internationale et la diffusion d’informations à la chaîne. Face au nombre croissant d'abonnés membres de la diaspora centraméricaine (ainsi que d'autres journalistes, universitaires, militants et responsables gouvernementaux), l’équipe en pleine croissance a ouvert des comptes sur les réseaux sociaux ainsi que sur Patreon, avant de lancer son propre podcast.
Fondé par José Luis Martínez, un Texan d'origine salvadorienne, le Central American News Podcast, qu'il présente avec la co-animatrice Cecilia Rivas, offre au public un condensé de la newsletter. Diffusé en février 2020, le premier épisode a marqué le début d’une série de podcasts qui transmettent chaque semaine les actualités de l’Amérique centrale à une audience plutôt qu’à un lectorat. « Mon point fort est la narration numérique. Je m'inspire beaucoup des concepts d'autres projets, qui peuvent ensuite être appliqués à Central American News », explique José, étudiant en journalisme. Durant la pandémie, José a également créé une carte interactive sur la situation de la COVID-19 en Amérique centrale, grâce à un outil de visualisation de données et des statistiques. Si le manque d’informations publiques a parfois compliqué la tâche, José a minutieusement recueilli les statistiques de la COVID-19 auprès des gouvernements et des ONG centraméricains.
Nous recevons souvent des réponses de nos auditeurs, qui nous écrivent des messages comme « Merci infiniment d’exister et de partager l’actualité authentique de l’Amérique centrale <3 je vous envoie plein d’amour et d’ondes positives ! », ou « J’adore la newsletter ! Vous faites tous du super boulot. Je suis étudiant au New Jersey. Je viens du Honduras et vous êtes pour moi le meilleur moyen de rester informé. »
Aujourd’hui, la newsletter compte plus de 1000 abonnés et 50% d’entre eux la consultent chaque semaine. Quelques autres milliers de personnes suivent ses comptes sur les réseaux sociaux et écoutent le podcast. Les donateurs qui financent la newsletter sur Patreon ont accès à des discussions exclusives d’experts sur la région. Afin de diversifier encore plus notre audience, nous prévoyons de mettre en place des échanges approfondis via notre podcast et d’ouvrir un compte TikTok.
En avril 2021, Bree'ya a rejoint l'équipe Central American News pour traiter l'actualité du Panama. En tant qu’archiviste, elle souhaite comprendre le passé et l’actualité de l’Amérique centrale. Pour elle, garder le lien avec sa culture panaméenne et la partager contribuera à établir un sentiment d'appartenance au sein de la diaspora, tout en mettant en valeur la beauté du pays de sa grand-mère.
Bree’ya Brown travaille en tant qu’archiviste pour le Texas Domestic Slave Trade Project (projet texan sur la traite des esclaves domestiques) et gère la rubrique Panama pour Central American News. Elle est panaméenne-américaine de deuxième génération. Elle est titulaire d'un Master en sciences de l'information de l'université du Texas à Austin et d'un Master d'histoire de l'université d'État de Californie à Long Beach.
Melissa Vida est une journaliste multimédia indépendante salvadorienne et belge. Elle est l’auteure de plusieurs articles publiés dans le New York Times, Foreign Policy et El Faro. Elle est également rédactrice de la rubrique Amérique latine de Global Voices et rédactrice en chef de Central American News. En 2019, elle a réalisé le documentaire Resucitaré («Renaître») sur l’héritage d’Oscar Romero au Salvador.
Cet article fait partie du numéro "Renforcer les Capacités des Diasporas Mondiales dans l'Ère Numérique", une collaboration entre Routed Magazine et iDiaspora. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de Routed Magazine.
Nous reconnaissons également l'importante contributions importantes de l'équipe de promotion et de communication : Achille Versaevel, Fiona Buchanan, Lena Hartz, Malin Evertsz Mendez, Margaret Koudelkova et Shaddin Almasri. Enfin, nous tenons à remercier le travail de traduction en français réalisé par Catherine Meunier, Elisabeth Loua, François Lesegretain, Anaïs Fournier, Aurianne Ortais et Chloé Bianéis.